En général, j’abhorre les bons sentiments. Et j’ai longtemps
cru que c’était chez moi une absence de sentiments, une incapacité à ressentir.
Pourtant j’adore les mélodrames, les chansons réalistes (Les roses blanches!) et ce poème de Victor Hugo (que, soit dit en
passant, je n’aime pas beaucoup non plus en général). Peut-être est-ce que les
bons sentiments manquent généralement de sentiment
et que je n’aime d’Hugo que ses poèmes dont la forme fait, comme on dit ici, « sortir
le meilleur de lui-même », sa compassion. Dans celui-ci, en tout cas, sa maîtrise
est éblouissante. Ce qui m’a frappée d’abord c’est la brièveté de certaines
phrases (Il est nuit… C’est la mère… Elle est seule… L’homme est en mer… Dur
labeur!) et la simplicité de la plupart des autres, les apposition et répétitions,
loin des tours alambiqués qu’Hugo parfois affectionne, la simplicité du ton.
Simplicité « savante » si l’on peut dire car on n’est
pas dans le ver libre, il faut respecter la rime – cette rime qui, comme dans
la chanson, facilite la mémorisation et la mise en musique tout en tenant à distance
le lieu commun. Et donne à la phrase un relief qui n’est pas dans la syntaxe et
transperce comme une dissonance : « Une femme immobile et renversée,
ayant/Les pieds nus, le regard obscur, l'air effrayant; » ou « Leur
haleine est paisible et leur front calme. Il semble/Que rien
n'éveillerait ces orphelins dormant », tandis que dans les mots
eux-mêmes, Hugo ne craint pas la brutalité : « Son bras livide et
froid et sa main déjà verte ».
Mais la construction, surtout, est parfaite :
I – La femme dans la cabane
II – L’homme en mer
III – Misère et peur
IV – Misère et peur, suite : tous pêcheurs
V – Action : Jennie part chercher son mari, le ton
change… Les pensées deviennent langage… Mais on est encore dans le mouvement
précédent et dans le temps présent, lequel permet d’englober à la fois l’intemporel
ou le répétitif des 4 premières sections que l’action ponctuelle de celle-ci
VI – Changement de temps, le mythe ou la complainte cèdent définitivement
la place à la narration.
VII – Retour aux réflexions d’ordre général – et au présent,
avec cet étonnant dialogue relatif à la morte « Entre la bouche
pâle et l'œil triste et hagard :/– Qu'as-tu fait de ton souffle ? – Et
toi, de ton regard ? »
(Le passage « ronsardien » qui suit est, à mon
avis, le plus mauvais et dessert le propos général en passant de la tragédie de
la misère à la tragédie de la vie en général, ce qui n’est pas exactement la
même chose. Paradoxalement, toutefois, il allège le texte un instant avec l’évocation
de plaisirs qui, pour être passagers, ont bel et bien existé mais dont Hugo ne
pouvait certes mettre l’évocation dans la bouche de la mère – qu’elle les ait
ou non connus – cf., plus loin, ce vers exemplaire, quand son mari revient :
« Elle prit son mari comme on prend un amant ». )
VIII – C’est du Poe! L’intrigue, le suspense, en une seule
strophe : la perfection!
IX – De nouveau, retour au plus que parfait (mais les
parties dialoguées sont au présent – la pensée est toujours au présent…), l’exaltation
– triste ou gaie – retombe : « Qu'est-ce que j'ai fait là ? » Et
le retour du pêcheur : « C’est la marine! »
X – C’est du roman. Le dialogue entre l’homme, qui revient
de la mer comme on revient de la guerre (je ne suis pas sûre de comprendre
ce que signifie « Je suis volé; […]la mer c’est la forêt » –dans la
bouche du mari, mais qu’importe…), et la femme, qui a « cousu » en
écoutant la mer « comme un tonnerre », est tout simplement sublime de
véracité et de perversité naïve, jusqu’au grandiose « À propos, notre
voisine est morte » : À propos!
Et le dénouement – sortez les mouchoirs (moi, en tout
cas, je renifle!) :
Femme,
va les chercher! […]// – Tiens dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà!
(Il y a pas mal de coquilles, mais je n’ai pas trouvé mieux…)